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> Accueil > Ressources > Autres textes officiels > Lettre de mission de Martin Hirsch, haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté (juillet 2007)
[7 mai 2008] LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Paris, le lundi 9 juillet 2007
Monsieur le Haut commissaire,
Les résultats de l’élection présidentielle et des élections législatives qui viennent d’avoir lieu dans notre pays montrent l’ampleur de l’attente de changement manifestée par les Français. En élisant au Parlement une large majorité présidentielle, ils ont voulu donner au gouvernement, sans aucune ambiguïté possible, tous les outils nécessaires à la réussite de sa mission. Ce gouvernement, auquel vous appartenez, n’a désormais qu’un seul devoir : celui de mettre en œuvre le programme présidentiel et, au-delà, de réconcilier nos compatriotes avec l’action politique en lui prouvant qu’elle peut encore changer les choses et rendre à notre pays la maîtrise de son destin.
7 millions de personnes vivent en France sous le seuil de pauvreté, dont deux millions d’enfants. Parmi les adultes en situation de pauvreté, on compte autant de personnes exclues de l’emploi que de femmes et d’hommes qui vivent dans la pauvreté bien que travaillant. Le visage de la pauvreté a changé. Vingt ans après la création du revenu minimum d’insertion, nos politiques de lutte contre la pauvreté doivent évoluer.
Au surplus, il est inacceptable qu’une grande nation développée comme la nôtre ne soit plus capable de lutter contre la pauvreté. Depuis plus de 20 ans, la proportion de personnes pauvres dans la population n’a quasiment pas diminué et les enfants pauvres deviennent trop souvent, à leur tour, des adultes en situation de pauvreté. Cette situation est intolérable et indigne d’un pays comme le nôtre, qui considère l’égalité des chances comme l’une de ses valeurs les plus fondamentales.
Au cours de la campagne présidentielle, nous avons pris l’engagement devant les Français de faire de la France une nation plus prospère. Mais nous avons aussi pris l’engagement de ne laisser personne au bord de la route et de rétablir l’égalité des chances. Réduire la pauvreté est donc pour nous un objectif majeur. Nous souhaitons l’atteindre en nous appuyant particulièrement sur l’éducation et le travail, qui sont les leviers essentiels de sa réussite et deux valeurs majeures du projet présidentiel.
A l’issue d’une réflexion collective, vous avez proposé une réforme d’ampleur des minima sociaux dont le but est de mettre ceux-ci au service de l’emploi et de la réduction de la pauvreté plutôt qu’à celui de la relégation durable. Votre proposition de revenu de solidarité active a pour objet de permettre à chacun de pouvoir tirer des ressources convenables de son travail, complétées par la solidarité quand cela est nécessaire. Elle répond aux objectifs de dignité pour tous et de valorisation du travail, qui sont au cœur du projet présidentiel. C’est pourquoi nous vous avons sollicité pour la mettre en œuvre et nous vous remercions d’avoir compris notre démarche et accepté de relever le défi.
Le principe qui guide la création du revenu de solidarité active est que les aides sociales soient efficaces parce qu’elles complètent les revenus du travail, et non s’y substituent. Le cœur de votre mission sera donc de transformer en profondeur les minima sociaux et la prime pour l’emploi afin que le retour à l’emploi soit toujours plus rémunérateur que le maintien dans l’assistance, et que le travail donne à tous la garantie de sortir et d’être protégé de la pauvreté.
A cet effet, vous prendrez toutes les dispositions nécessaires pour que toute activité apporte un revenu supplémentaire par rapport à une situation de seule assistance, pour que les nombreuses aides allouées aux personnes en difficulté soient versées en fonction de leurs revenus et pas de leur statut, et pour que le système d’aide sociale soit plus personnalisé, plus simple et plus équitable. Cela permettra au surplus de faciliter et de valoriser l’intervention des acteurs sociaux auprès des personnes en situation de précarité ou d’exclusion.
De même, pour faciliter le retour à l’emploi, il faut répondre au souci des acteurs de terrain de disposer d’un cadre souple et adapté à la fois à la diversité des situations des personnes éloignées de l’emploi, quel que soit leur statut, et aux besoins de simplicité des employeurs, qui doivent être largement mobilisés dans la politique d’insertion. A cet effet, vous simplifierez le plus profondément possible le régime des contrats aidés.
Si cela s’avère nécessaire pour atteindre le but recherché par la création du revenu de solidarité active, et en liaison avec les autres ministres concernés, en particulier la ministre du Logement et de la ville, vous proposerez enfin les aménagements utiles aux conditions d’attribution de l’ensemble des aides sociales et fiscales, des aides au logement et de la couverture maladie universelle. La réforme de la formation professionnelle, qui sera pilotée par la ministre de l’Economie, des finances et de l’emploi, a
pour objet, pour sa part, notamment, de permettre aux personnes les plus éloignées de l’emploi de bénéficier en priorité de la formation professionnelle, et de favoriser l’évolution vers des emplois de qualité des personnes peu qualifiées ou en situation de précarité. Vous veillerez à ce que tel soit le cas.
Nous souhaitons que le revenu de solidarité active soit créé à la fin de l’année 2008 et si possible avant. Pour cela, vous piloterez d’abord un programme expérimental, soutenu financièrement par l’Etat, dans des départements volontaires. Les dispositions nécessaires à sa mise en œuvre pourront être adoptées dès l’été 2007. En fonction de l’évaluation de cette expérimentation, vous élaborerez le projet de loi nécessaire à la mise en place généralisée de cette politique de solidarité active contre la pauvreté.
Pour la réussite de cette réforme, vous pourrez vous appuyer sur tous les ministères concernés, ainsi que sur l’ensemble des administrations publiques nécessaires, en particulier l’Agence nationale pour l’emploi, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances ainsi que la Caisse nationale d’allocations familiales et la Mutualité sociale agricole. Vous associerez à votre démarche les autres acteurs nécessaires partenaires de l’Etat - collectivités territoriales, partenaires sociaux, associations - ainsi que les personnes concernées, selon des modalités qu’il vous appartient de définir.
Nous pensons que l’éducation doit être le second pilier d’une politique résolue de lutte contre la pauvreté. Vous agirez donc en concertation avec le ministre de l’Education nationale pour que les enfants pauvres, qui partent dans la vie avec plus de handicaps que les autres, soient plus aidés que les autres pour réussir leur parcours scolaire, et qu’ils puissent, grâce à l’éducation et notamment aux études supérieures, avoir l’espoir réel de changer leur condition.
Au-delà du travail et de l’éducation, il existe d’autres facteurs de vulnérabilité ou parfois d’exclusion, qui peuvent notamment avoir trait à la santé, aux difficultés de se loger, de se déplacer, de faire garder ses enfants, d’avoir accès aux services bancaires ou de sortir du surendettement. Dans tous ces domaines, les politiques publiques doivent avoir le souci constant de la lutte cohérente contre les causes de la pauvreté. Nous comptons sur vous pour que soient conduites, à votre initiative, les démarches innovantes, parfois expérimentales, susceptibles de renouveler l’action publique sur ce point.
Vous le savez, le programme présidentiel devra être mis en œuvre en respectant scrupuleusement notre volonté de préserver l’avenir des générations futures grâce à une gestion rigoureuse des finances publiques, conforme à nos engagements européens et composante essentielle de la démocratie irréprochable que nous souhaitons mettre en place.
Réussir les réformes attendues par les Français et cesser la spirale de l’endettement ne sont nullement inconciliables, mais sont au contraire deux objectifs complémentaires dès lors qu’il est décidé d’abandonner les politiques qui ne marchent pas au profit de politiques qui marchent. Répartir la pénurie est aussi lâche et inefficace que laisser courir la dette publique. Si nous voulons modifier en profondeur les structures et les modes d’intervention des administrations publiques, c’est pour que chaque euro dépensé soit un euro utile et que le potentiel humain inestimable de notre administration soit beaucoup mieux valorisé.
Dès cet été, une révision générale des politiques publiques, à l’instar de celle réalisée par le Canada au milieu des années 90, sera donc entreprise. Elle sera conduite, sous notre autorité, par le Secrétaire général de la Présidence de la République, le Directeur du cabinet du Premier ministre, le ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, le secrétaire d’Etat chargé de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques, ainsi que des personnalités qualifiées issues du secteur public et du secteur privé, et des parlementaires. L’objet de cette révision générale des politiques publiques sera de passer en revue, avec la collaboration, naturellement, des ministres concernés, chacune des politiques publiques et des interventions mises en œuvre par les administrations publiques, d’en évaluer les résultats et de décider des réformes nécessaires pour améliorer la qualité du service rendu aux Français, le rendre plus efficace et moins coûteux, et surtout réallouer les moyens publics des politiques inutiles ou inefficaces au profit des politiques qui sont nécessaires et que nous voulons entreprendre ou approfondir. C’est dans le cadre de cette révision générale que sera mis en œuvre l’engagement présidentiel d’embaucher un fonctionnaire pour deux partant à la retraite et que nos objectifs de finances publiques sur cinq ans seront poursuivis et atteints (réduction de la dette publique à moins de 60% du PIB, équilibre budgétaire, baisse aussi rapide que possible des prélèvements obligatoires avec l’objectif d’une réduction de quatre points sur dix ans).
Nous vous demandons de vous impliquer personnellement et sans réserve dans cet exercice qui ne saurait remettre aucunement en cause la mission que la présente lettre vous confie, ni les moyens que nous souhaitons consacrer à une lutte résolue contre la pauvreté et à la réussite du revenu de solidarité active. Les premières grandes réformes issues de la révision générale des politiques publiques interviendront dès la préparation des budgets pour 2008. Nous insistons sur le fait qu’un bon ministre ne se reconnaîtra pas à la progression de ses crédits, mais à ses résultats et à sa contribution à la réalisation du projet présidentiel, y compris sur le plan financier.
Il en va de la pauvreté et des politiques sociales comme des finances publiques ou de la sécurité. C’est en nous donnant des objectifs chiffrés et des obligations de résultat que nous nous mobiliserons suffisamment pour réduire réellement la pauvreté, garantir l’égalité des chances, mettre nos politiques publiques au service de la dignité de tous.
C’est pourquoi nous pensons que l’objectif de réduire d’au moins un tiers en cinq ans la pauvreté dans notre pays doit être l’objectif du gouvernement. Nous vous demandons d’impliquer, aux côtés de l’Etat, les acteurs concernés (partenaires sociaux, collectivités territoriales et associations) dans la formulation et le suivi de cet objectif et de tout faire pour l’atteindre. Vous nous proposerez les indicateurs nécessaires susceptibles d’en concrétiser l’avancement, que nous suivrons en commun.
Nous ferons le point d’ici un an de l’avancement de votre mission et des inflexions qu’il convient, le cas échéant, de lui apporter.
En vous renouvelant notre confiance, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de nos sentiments les meilleurs.
Le Président de la République, Nicolas SARKOZY
Le Premier ministre, François Fillon
Monsieur Martin Hirsch,
Haut commissaire auprès du Premier ministre, aux Solidarités actives contre la pauvreté
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