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> Accueil > Dossiers thématiques > Santé et précarité > Historique de la prise en charge des troubles mentaux > Le XXe siècle et le traitement des troubles mentaux
[16 novembre 2009] Plus qu’un intérêt porté à la psychiatrie, au XXe siècle il y a une volonté de soigner les malades mentaux.
Dans les années 1930, jusqu’aux années 1950, la prise en charge des troubles mentaux se fait au moyen de chocs, d’abord « insuliniques », puis au Cardiazol®, puis « électriques ».
Dans les années 1950 on a davantage recours aux chimiothérapies diverses, alors que les années 1960 voient se développer le recours aux tranquillisants, aux neuroleptiques, aux antidépresseurs ou encore aux hypnotiques.
En à peine cent ans, nous sommes passés d’une prise en charge par la simple isolation du patient, son enfermement, à un accompagnement médicamenteux des personnes placées en asile psychiatrique.
Cependant, entre temps, la seconde guerre mondiale éclate, les asiles manquent de moyens et la psychiatrie s’ouvre aux sciences humaines. C’est l’occasion pour nombre de médecins de repenser l’utilité de ces institutions que sont les hôpitaux psychiatriques et de prôner la « désinstitutionnalisation » qui tend à réduire le rôle de l’« hospitalisation ».
A titre d’exemple Lucien Bonnaffé dénonce l’internement comme une « conduite primitive », Georges Daumezon est favorable à la « psychothérapie institutionnelle » selon laquelle la thérapie doit reposer sur un collectif dans le cadre d’un lieu de parole, avec l’idée de replacer le patient dans un réseau relationnel. D’autres dénoncent les « asiles » comme des structures aliénantes pouvant aboutir à une structure avec un fonctionnement comparable à celui du milieu carcérale.
Lucien Bonnaffé - Psychiatre français né à Figeac en 1912, mort à Ville-du-Bois (Essonne) en 2003. A la fois psychiatre et penseur, proche des surréalistes puis membre du Parti communiste français en 1935, grand résistant, il est médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban où il participe à la création de ce qui deviendra ultérieurement la psychothérapie institutionnelle. Il prend une place importante dans le mouvement de « désaliénation » au sein du service public de psychiatrie auquel il restera toujours attache. Toutes les révolutions, toutes les évolutions de la psychiatrie depuis la guerre n’auraient pu se faire sans son action déterminée à travers ses écrits, son action politique (il fut conseiller ministériel) et son enseignement. [1]
Georges Daumezon - Psychiatre français né à Narbonne en 1912, mort en 1979. Après une licence en droit, il fait, en 1935, une thèse remarquée qui se penche sur le travail des infirmiers en psychiatrie. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, il pousse à réformer les pratiques psychiatriques hospitalières en multipliant les activités laborieuses et sociales (ergothérapie et sociothérapie) et contribue à lancer la psychothérapie institutionnelle. Dans le même temps, il lutte sans arrêt pour une amélioration des conditions de vie hospitalière pour les malades et des conditions de travail pour le personnel. [2]
Derrière tout cela, l’idée commune est de « casser » les murs des hôpitaux psychiatriques, qu’ils reprennent une dimension humaine.
Le 15 mars 1960, sous l’impulsion du « Groupe de Sèvres » (composé entre autres de Lucien Bonnaffé, Georges Daumezon, Louis Le Guillant, Jean Oury, François Tosquelles), une circulaire ministérielle relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales, non parue au journal officiel, consacre le concept inventé par le groupe : le secteur de psychiatrie adulte. Une seconde circulaire précisera peu de temps après que les pavillons de psychiatrie ne doivent pas dépasser vingt cinq lits.
En 1964, à l’occasion du Congrès de Marseille des neurologues de langue française, Lucien Bonnaffé, Louis Le Guillant et Hubert Mignot rédigent un rapport intitulé « Chronicité et sédimentation » qui fait la distinction entre « chronicité « et « sédimentation », plutôt favorable à la thérapie par les relations plutôt que par le placement en institution.
Le concept de « secteur » se place dans la continuité de celui de la « psychothérapie institutionnelle ». En effet, il s’agissait de déplacer les soignants spécialisés vers des lieux de soins plus proches du patient afin d’éviter la « chronicisation » ou sa « désocialisation asilaire ». Plus concrètement, il s’agissait de rattacher aux services hospitaliers psychiatriques des lieux d’intervention de proximité dans lesquels existeraient des centres médico-psychologiques pour réaliser des consultations. Chaque secteur aurait été confié à une équipe médicale (composée d’un médecin chef, de psychiatres, d’internes, de psychologues, d’infirmiers psychiatriques,…), en charge de toutes les pathologies psychiatriques présentes dans sa zone géographique, et en charge de mettre en place des structures de « prise en charge » (prise en charge à temps complet, de jour, de nuit,…).
Cette prise en charge de proximité devait assurer une égalité de traitement des patients quelque soit leur lieu de résidence, ainsi que le suivi du patient dans l’« hospitalier » comme dans l’« extra-hospitalier ».
Si on a parlé de « sectorisation » avec la loi 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière, ce n’est qu’avec la loi 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses mesures d’ordre social que la « sectorisation psychiatrique » est apparue. En effet, cette loi créait dans son article 8 les secteurs de la « psychiatrie générale », de la « psychiatrie infanto-juvénile » et de la « psychiatrie en milieu pénitentiaire » (Le décret 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l’organisation de la sectorisation psychiatrique prévoyait des modalités d’application). Une autre loi 85-1468 du 31 décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique énonçait dans son premier article « il est institué, dans les conditions prévues à l’article 44 de la présente loi, une carte sanitaire de la France déterminant des régions et des secteurs sanitaires ainsi que des secteurs psychiatriques ». Dans une circulaire du 14 mars 1990 relative aux orientations de la politique de santé mentale il est écrit sous le titre I que « la lutte contre les maladies mentales, si on considère les seules personnes s’adressant aux systèmes de soins et d’aide pour une intervention sur un problème de santé mentale, est à l’évidence une priorité de santé publique », et se concluant ainsi : « la circulaire du 15 mars 1960 relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales amorçait la mutation de la psychiatrie publique. Il faut à présent achever d’accomplir cette mutation et promouvoir un niveau supérieur d’organisation de la psychiatrie pour l’adapter au besoin d’insertion dans la communauté sans quitter la base géographique nécessaire à une couverture territoriale complète ». Dernier grand texte de référence, la loi 90-527 du 27 juin 1990, relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation, a créé trois modes d’hospitalisation dans chaque secteur : l’hospitalisation libre, l’hospitalisation à la demande d’un tiers et l’hospitalisation d’office. Mais l’inégalité territoriale quant à la répartition des psychiatres et des infirmiers psychiatriques met quelque peu à mal cette organisation.
Enfin, ici aussi il faut noter qu’une forme de « rétablissement » était envisagée dans l’article premier qui prévoyait d’insérer dans le code de la santé publique « la lutte contre les maladies mentales comporte des actions de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de réinsertion sociale ».
Dans une étude d’août 2009 intitulée « Cinquante ans de sectorisation psychiatrique en France : des inégalités persistantes de moyens et d’organisation », l’IRDES souligne que « cinquante ans après l’introduction en France de la politique de sectorisation [influencée par le mouvement de désinstitutionnalisation prônée et soutenue par l’Organisation mondiale de la santé Europe depuis le début des années 1970] en matière de lutte contre les maladies mentales, les secteurs psychiatriques, unités de base de la délivrance de soins en psychiatrie publique, se caractérisent par d’importantes disparités ». On peut également lire que « la politique de désinstitutionnalisation en France a cependant été très spécifique. Contrairement à d’autres pays, la politique de secteur ne s’est pas prononcée contre l’hospitalisation à temps plein en psychiatrie mais pour son dépassement […] cette position a abouti à l’absence de fermeture d’hôpitaux psychiatriques, contrairement à nos voisins européens ». Cependant les disparités de moyens et d’engagement dans les objectifs « contribuent à faire de la sectorisation française une politique de santé en partie inachevée ».
Lire L’étude d’Anne Guillemin, « Bilan de la sectorisation psychiatrique », publiée par la DREES, en juin 2000, dans la Collection Statistiques.
Lire l’étude de Magali Coldefy, Philippe Le Fur, Véronique Lucas-Gabrielli et Julien Mousquès, intitulée « Cinquante ans de sectorisation psychiatrique en France : des inégalités persistantes de moyens et d’organisation », et publiée par l’IRDES :
Lire le rapport de Edouard Couty, « Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie », présenté au ministre de la Santé et des sports en janvier 2009, publié par La documentation française :
Lire le rapport d’Alain Milon, « La prise en charge psychiatrique en France », publié par l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé du Sénat (OPEPS) en mai 2009 :
[1] Dictionnaire critique des termes de psychiatrie et de santé mentale, S-D. KIPMAN (sous la direction de), Doin, 2005.
[2] ibid