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> Accueil > Dossiers thématiques > Santé et précarité > Evolution historique des concepts de Santé et de Précarité > Emergence des notions de santé, d’exclusion sociale et de privation des soins
[30 novembre 2009] « Santé » et « Précarité » peuvent être deux notions floues. Elles renferment en réalité des sujets de discussions philosophiques et juridiques de grande ampleur, tels que « exclusion » et « accès aux soins ». En effet, la mauvaise santé est un facteur d’exclusion et une conséquence de l’exclusion. Accéder au système de soins, surtout pour les plus précaires, est un moyen de réduire les inégalités sociales en la matière. Favoriser cet accès aux soins est donc une forme de lutte contre l’exclusion.
La « santé » a dans un premier temps été envisagée par rapport à la maladie. A titre d’exemple, à la fin du XIXe siècle, pour René Leriche : « la santé, c’est la vie dans le silence des organes ». Après la seconde guerre mondiale, la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé adoptée 1946, a défini la santé comme « l’état de bien-être physique, mental et social, et non pas seulement absence de maladie ou d’infirmité ».
Deux remarques peuvent être faites. La première est que cette définition fait appel à la perception subjective de chaque individu, qui varie selon les personnes et les époques. Cette remarque en appelle une deuxième : cette définition est une « ouverture » tout en restant statique. En effet, c’était la première fois qu’était envisagée la santé autrement que par le simple prisme du soin ou de la santé physique. Cette définition intégrait l’idée du bien-être mental et social. Pour autant elle reste statique en ce qu’elle n’envisage pas les autres déterminants sociaux de l’état de santé : le logement, le travail, les relations sociales, l’environnement...
L’autre texte de référence est la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, adoptée par l’Organisation mondiale de la santé le 21 novembre 1986, qui énonce : « La santé est perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie ; c’est un concept positif mettant l’accent sur les ressources sociales et personnelles, et sur les capacités physiques. La promotion de la santé ne relève donc pas seulement du secteur de la santé : elle ne se borne pas seulement à préconiser l’adoption de modes de vie qui favorisent la bonne santé ; son ambition est le bien-être complet de l’individu ». Ce texte ajoute : « La santé exige un certain nombre de conditions et de ressources
préalables, l’individu devant pouvoir notamment : se loger, accéder à l’éducation, se nourrir convenablement, disposer d’un certain revenu, bénéficier d’un éco-système stable, compter sur un apport durable de ressources, avoir droit à la justice sociale et à un traitement équitable. Tels sont les préalables indispensables à toute amélioration de la santé ».
On comprend alors que la santé « appelle une diversité et une complémentarité de réponses politiques » [1]. En effet, un mauvais état de santé résulte d’une multitude de manques et traduit en réalité une situation d’exclusion et de précarité sociales. Ceci explique que, par la suite, on s’est employé à lutter contre la précarité en tentant d’améliorer les divers déterminants sociaux qui pouvaient être à son origine, dont la santé.
De 1985 à 1987, les questions d’exclusion et d’accès aux soins font irruption dans l’actualité à partir de l’ouverture des Missions France de Médecins du monde et de Médecins sans frontières. On essaye alors d’isoler les principales difficultés d’accès aux soins. Sur ce sujet, deux rapports de référence sont à citer :
En 1994, le Haut Comité de la Santé Publique (HCSP) rend en novembre 1994 au ministre délégué à la santé un rapport général intitulé « La santé en France ». Ce rapport met en évidence les inégalités sociales en matière de santé, traduisant la prise de conscience qu’il faut mettre la réduction de ces inégalités parmi les priorités. En cela il s’agissait d’un retour à l’idée selon laquelle la précarité en matière de santé serait liée à divers déterminants sociaux, idée déjà envisagée par le rapport Wresinski, et qui avait fait l’objet de travaux, notamment outre-Atlantique. « On trouve tout d’abord dans ce volume une présentation synthétique de l’état de santé en France. Deux conclusions s’en dégagent : la santé en France est bonne, et s’est améliorée en dix ans ; mais elle présente cependant des faiblesses structurelles — notamment dans la lutte contre les effets de l’exclusion — qui entraînent des menaces de détérioration à moyen terme ».
La santé perceptuelle est pratiquement ignorée. L’étude des déterminants est négligée (impact des déterminants sociaux, raisons qui expliquent les comportements ou les consommations à risque). […] La question des disparités sociales est délicate à analyser pour des raisons techniques (nécessité d’études longitudinales et caractère évolutif des catégories socioprofessionnelles). Elle l’est aussi en raison de la complexité des déterminants sociaux et de la difficulté de s’appuyer sur un indicateur synthétique ».
Lire le rapport général du Haut Comité de la Santé Publique, « La santé en France », rendu public en novembre 1994, publié à La documentation française :
En février 1995, est rendu public le rapport « Une souffrance qu’on ne peut plus cacher » du groupe de travail « Ville, santé mentale, précarité et exclusion sociale » intitulé, autrement dit « rapport Lazarus ». Les auteurs, Antoine Lazarus et Hélène Strohl, ont visiblement souhaité porter l’éclairage sur les « invisibles » de la population.
« […] les populations démunies ont une utilisation du système de soins plus restrictive et n’accèdent pas forcément à des activités ou des modes de vie leur permettant d’améliorer leur bien être ; au contraire il y a comme une interaction entre ce mal être et leurs conditions de vie, notamment parce que l’effort demandé aux personnes pour s’insérer est en général bien supérieur que celui qui est demandé aux personnes bien intégrées socialement : l’effort d’accès à un monde du travail qui n’est pas a priori un facteur d’ épanouissement personnel , la gestion de budgets familiaux très serrés, l’éducation d’enfants quand on ne dispose ni d’un espace, ni d’activités adaptées, la confrontation avec un monde aux règles différentes de la culture dans laquelle avaient été élevées ces personnes, notamment le soutien de la communauté de travail qui était constitutive de la culture ouvrière, et aussi la complexité des procédures administratives, d’accès aux droits pour des personnes en situation d’instabilité ou de précarité. A ces difficultés liées aux changements des conditions de vie et notamment de travail s’ajoute souvent une difficulté supplémentaire née de l’effort d’insertion développé par les dispositifs sociaux : tout se passe comme des démarches complexes comme celle du contrat, du projet (d’emploi, de formation, de vie) étaient requises essentiellement des personnes les plus marginales. Or quand le contrat n’implique plus un engagement réciproque, celui de l’ensemble du corps social d’offrir une place d’insertion, celui du cocontractant de faire un effort pour parvenir à tenir cette place, mais que le contrat se réduit à une injonction paradoxale à atteindre ce que la société n’est pas en mesure d’offrir, un emploi pour tous ceux qui veulent travailler, un logement pour tous ceux qui acceptent de le payer selon leur capacité, un effort de formation adapté aux capacités et aux besoins des usagers, il devient un instrument d’éviction plus que d’insertion. Paradoxalement ce sont les jeunes qui ont le moins de possibilités de choix, de formation, de métier, de mode de vie qui sont sommés de construire un projet de formation et de s’y tenir. L’ensemble de ces contraintes renforce le malaise des populations les plus démunies ».
Lire le rapport d’Hélène Strohl sur les travaux du groupe de travail « Ville, santé mentale, précarité et exclusion sociale », présidé par Antoine Lazarus, publié en février 1995 par La documentation française sous le titre « Une souffrance qu’on ne peut plus cacher » :
La dernière étape est celle de la fameuse loi 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions dont le premier alinéa énonçait solennellement dans sa version d’origine « la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la nation ». Son deuxième alinéa poursuivait ainsi : « La présente loi tend à garantir sur l’ensemble du territoire l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l’éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l’enfance ».
Il convient de faire deux remarques : cette loi est dans le prolongement des rapports de 1987 et de 1994, respectivement celui du Père Joseph Wresinski et celui du Haut Comité de la santé Publique.
Lire l’allocution de Geneviève de Gaulle-Anthonioz au nom du Conseil économique et social lors de l’ouverture du débat en première lecture devant l’Assemblée nationale le 15 avril 1997, où il a été dit qu’« il est apparu que peu de personnes sont totalement exclues de ces politiques, mais que rares sont celles qui en bénéficient durablement et de manière cohérente. Les conclusions [de l’avis du Conseil économique, social et Environnemental] ont donc été de formuler ce que pourrait être le contenu « d’une loi d’orientation ayant pour objectif de conjuguer les efforts des pouvoirs publics et de la société civile » pour éradiquer la grande pauvreté et l’exclusion ». Il faut noter que ce débat s’intégrait dans un débat plus large portant sur la grande exclusion, et dont l’étape finale a été la loi de 1998.
Enfin, il convient de citer la récente loi 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’Hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin et par le Sénat le 24 juin 2009, qui crée l’article L. 1431-2 dans le Code de la santé publique énonçant : « les agences régionales de santé […] f) veillent à assurer l’accès aux soins de santé et aux services psychosociaux des personnes en situation de précarité ou d’exclusion ». Le texte énonce également « le plan stratégique régional de santé prévoit des articulations avec la santé au travail, la santé en milieu scolaire et la santé des personnes en situation de précarité et d’exclusion » (Art. L. 1434-2 Code de la santé publique).
[1] Décloisonnement et articulation du sanitaire et du social, Conseil Supérieur du Travail Social (CSTS), Rapports du CSTS, Editions ENSP, 2007, p. 25.