Aller au contenu | Aller au moteur de recherche
> Accueil > Nos publications > Les avis du CNLE > Avis 2008 > 21 février 2008 : Réponse du CNLE à la communication de la Commission européenne sur l’inclusion active
[28 février 2008] La Commission européenne a adressé, le 17 octobre 2007, une communication au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée : "Moderniser la protection sociale pour renforcer la justice sociale et la cohésion économique : promouvoir l’inclusion active des personnes les plus éloignées du marché du travail". Une large consultation sur ce texte a été lancée auprès de tous les acteurs concernés, à tous les niveaux, dans les Etats membres.
Le CNLE a souhaité y contribuer en adressant l’avis ci-dessous, adopté par ses membres le 21 février 2008.
Pour répondre à la consultation lancée par la commission européenne, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) a examiné cette communication et l’a commentée au cours de sa séance plénière du 24 janvier 2008.
Les membres du CNLE souhaitent d’abord saluer l’intérêt du travail que mène l’Europe pour renforcer la justice et la cohésion sociales.
Ils ont été sensibles à la qualité de la communication du 17 octobre 2007, soumise à consultation. Ce texte leur a paru marquer une évolution. Ils ont aujourd’hui le sentiment de se reconnaître davantage dans l’analyse et les propositions de la Commission européenne, et d’y trouver des injonctions moins culpabilisantes, sans doute parce que depuis un important effort national a été fait en matière de cohésion sociale et de retour à l’emploi.
D’emblée, les membres du CNLE soulignent que la communication formule plusieurs principes importants, sur lesquels ils souhaitent manifester leur adhésion :
la prise en compte de l’ensemble des causes des phénomènes d’exclusion, notamment la situation des travailleurs pauvres, problème dont il nous faut maintenant nous saisir ;
la nécessité de rapprocher les acteurs spécifiques de l’insertion et ceux du monde économique, et de mieux articuler les différents niveaux de planification et d’intervention dans le traitement de l’inclusion sociale ;
la modernisation de la protection sociale, enjeu important qui nécessite une vision plus large que celle que nous avons aujourd’hui ;
l’ambition de repenser et d’activer la solidarité pour éviter de nouvelles formes d’exclusion et de pauvreté.
l’ouverture de droits nouveaux pour les personnes les plus éloignées du marché du travail ;
une modernisation du marché du travail qui intègre la sécurisation des parcours professionnels.
Ces principes s’adossent naturellement à l’objectif de la stratégie de Lisbonne qui est de produire un impact déterminant sur l’éradication de la pauvreté. En France, pour l’essentiel, ces principes font consensus, mais la croissance économique, l’accès de tous à l’emploi et l’offre de services sociaux de qualité représentent des enjeux majeurs et des défis qui restent à relever.
Les membres du CNLE souhaitent rappeler dans la présente note le chemin parcouru pour mettre en œuvre les stratégies d’inclusion active en France, tout en faisant part de certaines préoccupations et des difficultés rencontrées. Dans une deuxième partie, ils formulent des attentes et propositions à l’égard du niveau européen.
L’administration centrale, et notamment la DGAS qui est chargée du pilotage des politiques nationales d’inclusion sociale, s’efforce d’articuler les politiques du niveau européen et du niveau français. Ce travail passe par la rédaction du Plan national d’action pour l’inclusion sociale (PNAI) et, plus récemment, par celle du Document de politique transversale (DPT) qui favorise un parallélisme et un recouvrement entre les deux niveaux. Ce nouvel outil permet aux acteurs de l’inclusion d’aller plus loin dans l’observation des réalités, la définition d’indicateurs, la construction de politiques publiques.
Les administrations s’efforcent également d’établir cette articulation entre le niveau territorial, le niveau national et le niveau européen. Cependant, l’Etat doit gérer la libre administration des collectivités locales, la liberté syndicale, la liberté associative et la liberté du commerce. Face à cette organisation complexe, il tente de créer du lien entre le local et le national avec des outils assez simples, tels que les chartes territoriales de cohésion sociale et les commissions départementales de cohésion sociale…
Cette complexité des systèmes qui interviennent dans le champ du social reflète la diversité des publics. Il y a là matière à réflexion pour expérimenter des manières de travailler différemment et pour évoluer vers un mode beaucoup plus coopératif et partenarial. Les différents relais - État, collectivités, associations…- devraient pouvoir « internaliser » leur complexité afin ne pas en faire porter le poids aux publics. Cette évolution est nécessaire dans l’intérêt des personnes.
C’est pourquoi le chapitre « Gouvernance » du PNAI fait référence au travail cohérent des différents partenaires de l’action sociale, notamment les collectivités locales et territoriales. Il y est même conseillé de travailler le domaine de l’exclusion sociale au niveau intercommunal. Le CNLE propose que dans le cadre du prochain PNAI des expérimentations soient programmées pour évaluer la prise de compétence « Lutte contre l’exclusion sociale » par des intercommunalités. Des centres intercommunaux d’action sociale pourraient être les acteurs de cette expérimentation.
Une démarche innovante de concertation a été récemment expérimentée en France : les représentants des partenaires sociaux et des associations du collectif national Alerte ont mené, pendant 14 mois, un travail commun de réflexion et d’analyse pour identifier les difficultés que rencontrent les personnes en situation de précarité à accéder à l’emploi. Cette concertation leur a permis de dégager un ensemble de constats partagés et de recommandations communes, rendus publics dans une communication du 13 décembre 2007 : « L’accès des personnes en situation de précarité à un emploi permettant de vivre dignement ».
C’est une avancée majeure que de faire sortir la lutte contre la pauvreté du champ strictement social et de renforcer ainsi le rôle du monde économique et de tous ses acteurs dans ce domaine. Le fait même d’avoir mis en place ce dialogue social autonome est un événement, une première en France. Cette démarche pourrait être portée au niveau européen. Un écho des résultats pourrait être présenté lors du sommet tripartite qui précédera le Conseil européen sous présidence française.
L’une des recommandations qui a émergé de cette concertation est la nécessité d’assurer un accompagnement social pour les personnes qui s’acheminent vers l’emploi ou qui commencent à accéder à l’emploi. Comme le dit la communication du conseil européen, « le processus de réinsertion sociale ne se termine pas aux portes de l’entreprise ». « En cas de recherche d’emploi fructueuse, ces personnes doivent être soutenues pour conserver leur emploi et éviter l’effet ‘tourniquet’… ». Assurer cet accompagnement au-delà de l’embauche peut être nécessaire, au moins durant le premier mois, mais ce n’est pas le métier de l’entreprise : elle prend en charge l’accompagnement professionnel des apprentis et des personnes en contrat de professionnalisation, mais l’accompagnement social doit être assuré par des professionnels de ce secteur, connaissant le mieux possible l’entreprise. Naturellement, les structures d’insertion par l’activité économique accordent une attention toute particulière à cet accompagnement, mais elles ne peuvent pas prendre en charge tous les publics concernés. Il est indispensable que le secteur associatif continue d’engager sa responsabilité et sa compétence dans l’accompagnement des personnes dans l’emploi et dans leur réintégration du champ économique. Il faut aussi favoriser les contacts entre le monde associatif et le monde de l’entreprise, pour que le premier ait une connaissance concrète et à jour des réalités du quotidien en entreprise des personnes accompagnées.
Les collectivités locales ont-elles aussi mené un travail de réflexion et émis un certain nombre de propositions en vue de renforcer la cohérence des partenariats et la coopération de tous les acteurs concernés. A titre d’exemple, les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, membres de l’UNCCAS, ont produit, en octobre 2007, un document qui marque leur engagement sur des propositions concrètes contribuant à apporter des réponses aux besoins des travailleurs pauvres : « Les 15 engagements de Grenoble ».
Rappelons enfin qu’une coopération plus élargie de tous les acteurs concernés repose sur des lieux d’observation partagée, de définition de stratégies communes, de mise en œuvre avec mutualisation de moyens et d’évaluation de l’impact des politiques. Pour progresser dans cet objectif, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a lancé une opération de redynamisation des conseils départementaux de l’insertion par l’activité économique, afin d’en faire de véritables instruments d’une construction partagée de l’offre d’insertion.
Favoriser les rapprochements et la concertation entre les différents acteurs de l’inclusion sociale est la raison d’être du CNLE, qui compte 54 membres appartenant à 8 collèges. Conseil généraliste et transversal, il est chargé d’accompagner les membres du gouvernement dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques nationales sur l’ensemble des sujets ayant trait à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Pour élargir sa mission d’animation de la réflexion aux instruments européens, il s’est récemment doté d’un groupe de travail qui suit l’évolution de la méthode ouverte de coordination sur la protection sociale et l’inclusion sociale (MOC) et la mise en œuvre du PNAI. Les travaux de ce groupe s’appuient sur de larges consultations des différents acteurs intervenant dans le champ de l’inclusion ; les témoignages de personnes qui vivent des situations de pauvreté ou d’exclusion sont également entendues, grâce aux synthèses du projet « Regards croisés » (une action conduite par la Fondation Armée du salut, avec l’UNIOPSS).
Cependant cet effort de gouvernance et de synergie d’action reste encore à améliorer, notamment dans deux domaines :
On ne peut avancer dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sans intégrer la question de la prévention et de la formation initiale. Alors que 150 000 jeunes sortent chaque année de l’école sans qualification, l’articulation avec l’Education nationale reste, aujourd’hui encore, une des faiblesses de nos conseils et de notre action interministérielle.
L’interpénétration qui commence à se faire entre le champ social et le champ économique doit se traduire aussi par une meilleure transposition de la dimension sociale dans le Plan national de réforme (PNR). La vigilance à cette dimension doit se porter notamment sur les règles de la concurrence prévues par la stratégie de Lisbonne, qui ne doivent pas avoir pour effet d’augmenter le nombre de personnes inemployées ou précarisées. Le CNLE souhaite que soit explicitement mentionnés, dans le PNR, des objectifs d’action en faveur de l’inclusion sociale, car ces objectifs ne doivent pas être cantonnés dans le PNAI. C’est un enjeu d’approche globale de la stratégie pour l’emploi que le CNLE entend défendre, en s’appuyant sur les administrations membres.
Dans les expérimentations en cours, en France, sur le Revenu de solidarité active (RSA), une attention particulière est portée aux conditions d’attractivité financière du travail. Pour les demandeurs d’emploi, c’est un élément important, mais les conditions de rémunération et la durée du temps de travail sont tout aussi importantes, car occuper un emploi n’apporte plus la garantie de sortir de la pauvreté . La recherche d’une dignité et d’un lien social à travers un collectif de travail constituent aussi de puissants facteurs d’insertion.
En revanche, il est évident que l’accent mis sur les « trappes à pauvreté » conduit nombre de personnes à s’inquiéter, davantage que par le passé, du niveau de leur revenu pendant leur parcours d’insertion. La complexité grandissante des dispositifs publics et privés et leur manque de cohérence entraînent désormais des pertes de droit. Il faut remédier à la difficulté qu’ont ces personnes à obtenir une information et une orientation précises, et leur permettre de trouver un lieu unique où elles pourront ouvrir ou recouvrer leurs droits.
La Commission pointe dans sa communication la pertinence du développement de l’économie sociale pour soutenir l’inclusion des personnes défavorisées. Nous souhaitons que ce levier soit plus largement mis en œuvre au niveau européen, afin d’associer davantage les représentants de cette économie sociale à la définition des principes directeurs de l’inclusion active.
La Commission souligne l’apport du FSE au soutien des mesures d’inclusion active. Le CNLE exprime cependant sa préoccupation à cet égard, du fait de la baisse du budget des fonds structurels européens : malgré le réel effort de l’Etat français pour le maintien de son appui aux initiatives associatives, le risque existe qu’un certain nombre de services sociaux d’accès à l’emploi soient abandonnés, sur des territoires qui sont déjà en difficulté.
Dans cette dernière partie, les membres du CNLE souhaitent pointer quelques réserves que leur a inspiré le texte de la communication et signaler à la commission certains aspects qu’il serait nécessaire d’approfondir ou de travailler au niveau européen :
Y a-t-il une analyse des sources de la précarisation, qui mène souvent à l’exclusion sociale ? Pouvons-nous réfléchir aux différents moyens à mettre en œuvre pour aider, à ce moment précis, les personnes à remonter la pente jusqu’à ce qu’elles soient sorties de la précarité ?
Les objectifs chiffrés sont des instruments de mesure qui permettent la comparaison et l’évaluation des politiques mais qui peuvent aussi avoir un effet contreproductif ou pervers lorsqu’ils reflètent une segmentation de la population (ceux qui bénéficient de telle ou telle prestation, ou à l’inverse en sont privés). Quand on établit ces catégories de personnes, définies par différents critères, on occulte toute notion de parcours. Or, les histoires de vie individuelles font qu’une personne peut appartenir à un moment donné à un ensemble, et à un autre moment, à un autre. Considérer que ces différentes séquences de vie ne peuvent pas cohabiter ou alterner renforce les segmentations sociales et occulte ce qui crée du lien entre les différentes catégories de la population.
En France, les travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) s’appuient toujours sur les indicateurs de Laeken et sur le corpus commun de l’Union européenne mais nous déplorons un déficit de contacts avec les autres systèmes d’observation européens et les acteurs de cette spécialité. Pourtant, nous pourrions progresser ensemble sur la manière de rendre les observations territoriales homogènes et comparables entre elles. De même, nous manquons d’outils pour suivre les trajectoires des personnes et développer une approche qualitative ; nous rencontrons des difficultés à analyser les phénomènes de pauvreté en conditions de vie parce que les questionnaires ne reflètent pas la perception des personnes qui vivent les situations de pauvreté ; enfin, nous manquons d’outils pour le suivi des phénomènes migratoires intra-européens, alors que notre système social doit maintenant s’adapter à l’accueil de populations qui viennent des nouveaux Etats membres.
Le CNLE souhaiterait savoir si d’autres organismes en Europe ont travaillé sur ces différentes questions pour s’associer à leur réflexion.
Cette communication a l’ambition d’aboutir à la reconnaissance, en tant que stratégie européenne, de la lutte contre la pauvreté, fondée sur des valeurs partagées, mûries pendant une trentaine d’années, et exprimée au travers des droits fondamentaux.
La finalité de tout ce travail se confond avec la volonté de faire coïncider, comme matrice de l’identité européenne, le respect de la dignité humaine et l’égale dignité de chacun.
Le CNLE souhaite que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui est annexée au traité réformé de l’Union, soit un outil d’information sur ces droits. Son message doit signifier clairement que les Etats membres sont tenus à l’observation des droits fondamentaux dans l’application de toutes les politiques communautaires.
Le CNLE appuie la démarche d’ATD Quart monde pour faire reconnaître la grande pauvreté comme une violation des droits fondamentaux, et pour l’inscrire dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. De même, il demande qu’elle soit inscrite dans les champs thématiques de l’Agence des droits fondamentaux que l’UE est en train de mettre sur pied. Défendre une approche globale des droits fondamentaux implique de bâtir des politiques d’accès et de préservation de l’ensemble de ces droits, sans se focaliser sur un seul - l’emploi, par exemple. Cela évite de raisonner en termes de catégories de population et de segmentation des politiques.
Enfin, il importe de souligner que la dimension politique de l’engagement pour l’inclusion sociale reste déterminante. En France, c’est l’engagement du gouvernement tout entier dans la stratégie de lutte contre la pauvreté, et son engagement sur la durée, qui donnera sa véritable assise politique à la dimension européenne. Au cours du second semestre de l’année, en présidant le Conseil de l’Union, la France aura une position centrale qui pourrait donner à ces questions sociales une impulsion déterminante, prenant appui sur les expérimentations qui ont été lancées et les conclusions des négociations qui sont actuellement menées.
* Lire le document :