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> Accueil > Dossiers thématiques > Santé et précarité > Historique de la prise en charge des troubles mentaux > 2009 : De l’intégration du sans-abri psychologiquement troublé à son « rétablissement » (recovery)
[15 novembre 2009] Le rétablissement est l’étape qui suit l’accompagnement du sans-abri lorsque celui-ci est touché par des troubles mentaux. Il s’agit de donner les moyens aux sans-abri de se resocialiser, de se rétablir au sein de la société, et de pouvoir vivre en société malgré leurs troubles psychiques ou psychiatriques s’ils en ont.
Etre sans domicile est une marque de précarité. On remarque que cette précarité est encore un peu plus sévère dès lors que la personne sans domicile a des troubles psychiques. Pour certains, une personne sans-abri sur trois a des troubles psychiques, pour d’autres, c’est quatre sur cinq…
Au-delà de ces estimations, ce sont les causes du sans-abrisme qui sont discutées, et notamment dès 1957 avec les travaux d’Alexandre Vexliard. Selon la tendance actuelle, les solutions sont essentiellement, outre les dispositifs d’hébergement et de soins d’urgence, l’« accompagnement » et les aides au « rétablissement ».
Dès 1957, Alexandre Vexliard a tenté d’expliquer le processus de « clochardisation ». Ses nombreux travaux sont particulièrement éclairants sur la précarité qui touche le sans-abri et sur les évolutions de son comportement psychologique.
La population des personnes SDF a beaucoup évolué, il ne s’agit plus seulement de « grands exclus ». Pour beaucoup de travailleurs sociaux, cette population est hétérogène. On comprend dès lors que l’aide ne peut être uniforme. En effet, on distingue généralement « les précaires » (ayant des minima sociaux, squatters,…), « les marginaux » (les errants, les psychotiques désocialisés, les ravers,…), « les exclus » (les personnes très désocialisées, les clochards, les personnes depuis longtemps à la rue,…) et « les demandeurs d’asile ».
Pour revenir aux origines de la détermination du sans-abri il faut citer Alexandre Vexliard qui a en 1957, dans Le Clochard. Étude de psychologie sociale, décrit le « processus de désocialisation ».
Le « processus de désocialisation » se produirait selon quatre phases successives [1] : Phase « agression » (après un choc), Phase « régressive » (familiarisation avec sa nouvelle condition de vie), Phase « fixation » (socialisation avec les autres « clochards », c’est la phase la plus longue et la plus critique dans laquelle peut intervenir la décision du suicide) et Phase « abandon » (clochardisation par résignation, la situation est acceptée). On comprend qu’au stade ultime de la désocialisation le « clochard » vit son indépendance de tout comme la liberté, voulant qu’on le laisse « tranquille » afin de rester « libre ». Il s’agit d’un « narcissisme inversé où l’exclusion est vécue comme un choix » (X. Emmanuelli). Dès lors, sa resocialisation a pour principaux obstacles l’effort psychologique qu’elle nécessite et l’habitude prise par le « clochard » de se contenter de peu.
A noter que Alexandre Vexliard distinguait des typologies de désocialisation, selon son origine, à savoir une pression sociale (problèmes professionnels, difficultés économiques, maladies somatiques, décisions personnelles, décision de justice,…), une marginalisation (voulue ou subie), ou encore une démence (schizophrénie, troubles mentaux, défaillances psychiques ou psychologiques,…).
On comprend alors que « l’exclusion, grâce au travail d’Alexandre Vexliard est sortie de l’ignorance et se présente comme le symptôme caractéristique d’un état de désocialisation qui sépare l’individu de son groupe, l’homme de l’institution, quand bien même celle-ci aurait été aménagée pour faciliter des entrées plus faciles ». [2]
Il faut également rappeler que nombreux sont les sans-abri, les sans-domicile, touchés par un trouble psychique. Il semblerait que ce type de troubles soit un facteur d’exclusion pour celui ou celle qui en souffre, et un facteur de maintien dans l’exclusion et la marginalité.
Rappelons que le 18 mai 1995 Xavier Emmanuelli avait été nommé secrétaire d’État auprès du Premier ministre Alain Juppé et chargé de l’Action humanitaire d’urgence. A sa demande, s’était réuni un Groupe de travail « Psychiatrie et grande Exclusion » sous la direction initiale de Cyril Roger-Lacan et Catherine Patris, afin de faire des propositions pour améliorer la prise en charge par les équipes de secteur psychiatrique, des personnes en situation de grande précarité souffrant de troubles psychiatriques. Ces propositions avaient été réunies dans le rapport intitulé « Psychiatrie et grande exclusion », publié en juin 1996. Ce rapport proposait, notamment, une amélioration de la prise en charge hospitalière et en Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), par la mise en place de réseaux institutionnels.
Consulter le rapport du Groupe de travail « Psychiatrie et grande Exclusion » initialement dirigé par Cyril Roger-Lacan et Catherine Patris, intitulé « Psychiatrie et grande exclusion », et publié en juin 1996 à La documentation française :
Il convient de citer également les travaux du groupe de travail mis en place par le secrétaire d’Etat Dominique Versini, et présidé par le Professeur Philippe Parquet, travaux qui ont donné lieu en 2003 à un rapport, dit « rapport Parquet », intitulé « Souffrance psychique et exclusion sociale ».
Les avant-propos du secrétaire d’Etat sont sans équivoque :
« Nul ne peut ignorer aujourd’hui l’émergence d’une souffrance psychique invalidante qui touche les personnes en situation de précarité et parallèlement une précarisation croissante des malades mentaux ».
Lire le rapport du Groupe de travail mis en place par le secrétaire d’Etat Dominique Versini et présidé par Philippe Parquet, intitulé « Souffrance psychique et exclusion sociale », et publié en septembre 2003 :
Outre-Atlantique existe un projet de recherche et de démonstration en santé mentale et itinérance appelé « Projet Chez Soi - Montréal ». Il vise à « mettre fin à l’itinérance et à favoriser l’intégration dans la collectivité » et repose sur les programmes Housing First et Streets to Homes , tous deux en expérimentation actuellement au Canada, précisément à Montréal pour le premier, à Toronto pour le second.
Consulter en ligne le sommaire du Projet Chez Soi
En France, le psychiatre Vincent Girard a reçu mission de la part du ministre de la santé et des sports Roselyne Bachelot-Narquin d’« élaborer des propositions afin de faire évoluer [les] dispositifs sanitaires destinés aux personnes en très grande précarité ». En fonction des spécificités du public des « sans domicile fixe » il s’agira « d’identifier les difficultés et les freins existant dans les dispositifs actuels pour un accès aux soins de ce public, d’identifier les leviers d’action susceptibles de rendre plus opérationnelle la prise en charge de ces publics en grande précarité, tant dans le champ du soin somatique que du soin psychique, de proposer des solutions novatrices à partir d’expériences locales, nationales et internationales et préciser les conditions de leurs réalisations », enfin « de proposer des méthodes d’évaluation de ces expérimentations et plus globalement des politiques de santé publique en direction des personnes sans-abri afin de pouvoir les améliorer ou les adapter ».
Vincent Girard a envisagé de rendre son rapport d’ici décembre 2009…
Lire la lettre de mission de Vincent Girard confiée par le ministre de la santé et des sports Roselyne Bachelot-Narquin :
Consulter le blog La santé des personnes sans chez soi
Ce concept a fait l’objet d’un colloque au ministère de la santé et des sports le 1er octobre 2009 sous l’intitulé « Le rétablissement : un outil pour la santé des personnes sans chez soi ? ». Ce colloque, organisé par le Psychiatre Vincent Girard, a été l’occasion de réflexions et d’échanges.
Le concept de rétablissement avait alors été présenté ainsi :
« Rétablissement est la traduction la plus proche du terme recovery. Ce concept est né dans le champ de la santé mentale au Québec et en Amérique du Nord. Sa promotion fut d’abord le fait des personnes atteintes de maladie mentale et leurs familles à travers le mouvement des associations d’usagers pour défendre leurs droits et lutter contre la stigmatisation. Dans un second temps, ce concept a été repris par les chercheurs et les professionnels. Une alliance s’est créée autour d’objectifs communs : développer ses compétences à avoir une vie satisfaisante, être un citoyen comme les autres même si des symptômes et/ou un handicap persistent. Des critères de rétablissement ont été proposés, comme l’intégration dans la communauté, la capacité à se gérer soi-même, à développer des activités sociales, à se redéfinir et à reconstruire un sens de soi. Aujourd’hui, le rétablissement propose une façon nouvelle de penser le soin. Il existe des soins orientés autour du rétablissement et des politiques nationales de santé construites à partir de ce paradigme. Les personnes malades jouent un rôle premier dans la co-construction et la mise en place de ces nouvelles politiques de santé, de ces nouvelles pratiques de soins et de la recherche dans ces domaines. Aujourd’hui, le recovery oriented care est une approche privilégiée en santé mentale au Québec et aux Etats-Unis qui permet en outre de lutter contre la violence et la discrimination dont font l’objet les personnes les plus vulnérables. Il est transposable en France sous certaines conditions [qui ont fait l’objet de clarification lors du colloque mentionné] ».
[1] D’après A. VEXLIARD, Le clochard, Sociologie clinique, DESCLEE de BROUWER, 1998, pp. 21-24
[2] X. Emmanuelli dans A. VEXLIARD, Le clochard, Sociologie clinique, DESCLEE de BROUWER, 1998, p. 7.